CONFÉRENCE DU 21 SEPTEMBRE 2021 d’Eric BIZARD, Économiste, spécialiste des questions de protection sociale et de santé, professeur affilié à l’ESCP et Fondateur de l’Institut Santé
Propos introductifs d’Eric Campion, Président du Comité Français de l’Union Paneuropéenne.
La crise sanitaire a mis en évidence la dépendance de l’Europe en matière de santé. Par exemple, l’Inde et la Chine produisent 90% de la pénicilline, 70% du paracétamol, diminuant la possibilité pour l’Europe de faire face à de nouvelles crises épidémiques.
Cette crise a ainsi révélé le besoin de gouvernance, voire d’un contrôle de l’indépendance alimentaire afin d’assurer la santé de tous.
Conférence de M.Bizard, Économiste, Professeur affilié à l’ESCP, Fondateur de l’Institut
La santé est un sujet complexe si l’on veut être réaliste.
La crise du coronavirus a révélé, de façon brutale et crue, l’absence de santé à l’échelle européenne. La santé ne fait pas partie des compétences de l’Union Européenne (UE). Cela pose la question de la manière dont on a construit l’Europe. Finalement, la crise a révélé que l’on a oublié de penser au bien-être des citoyens. Il faut donc l’intégrer. Néanmoins, il faut être réaliste : la santé restera une question nationale. Alors, en quoi l’Europe peut-elle consolider la protection des citoyens ?
La crise constitue une opportunité pour l’Europe. Cette crise a effectivement mis sur la table le thème de la santé, parmi d’autres. Justement, sur le plan de l’approfondissement du projet européen, la santé est un thème sur lequel l’on peut trouver un consensus assez vite. Néanmoins, malgré ce consensus, il n’y a aucune vision stratégique qui se dégage.
- Des systèmes de santé européens en crise, des modèles de santé à repenser
Pour avoir un système de santé efficient, il faut qu’il repose sur trois piliers forts : les services de soins, la recherche, l’industrie.
Les modèles de santé du XXIe siècle sont différents des modèles de santé du siècle dernier. Au XXe siècle, le modèle de santé servait à permettre l’accès aux soins, les plus qualitatifs possibles sur l’ensemble des territoires. La France fait partie des pays qui a le mieux performé à ce niveau offrant aujourd’hui l’un des systèmes de soins les plus développés.
La plupart des systèmes de santé sont en crise. Aucun était préparé pour faire face à une crise épidémique. Or, la priorité en temps de pandémie, n’est pas l’accès aux soins mais la protection et la prévention. Si on n’arrive pas à prévenir, on se retrouve dans des situations telles que nous avons connu pendant la crise (confinement, protection des plus fragiles….). Aujourd’hui, les dirigeants s’accordent autour d’un consensus, que l’on peut résumer par la formule « plus jamais ça ». Autrement dit, il faut un nouveau modèle de santé.
La crise n’a fait que révéler ce qui était déjà en cours. On observe trois transitions :
- Vieillissement de la population : de 2010 à 2030, on observe un vieillissement historique, sans précédent. Les conséquences sont réelles : si on ne se préoccupe pas autant de la santé des biens portant que des malades, le modèle périclitera. Il y a un effet mécanique. Pendant la crise, on ainsi observé la position délicate des pays riches où la population est beaucoup plus vieille, et comporte une part élevée de personnes fragiles. Si on veut la meilleure protection face aux risques des maladies infectieuses, il faut diminuer le niveau de fragilité. Pour cela, il faut que le bien vieillir devienne une réalité. A cet égard, il y a en Europe des disparités : l’Allemagne ou la France sont en retard par rapport aux pays scandinaves. Pour preuve, en France, la création d’espérance de vie chez les hommes s’accompagne dans 100% des cas d’incapacité.
- Transition épidémiologique : On distingue communément les risques courts des risques longs. En Europe, en matière de santé, la nature du risque s’est transformée. De fait, la stratégie ne peut pas être la même. Lorsque que le risque est court, on se concentre sur l’offre, et on s’occupe des malades en priorité. Quand la durée du risque devient longue, le pilote doit être tourné vers la demande. C’est une bascule de l’offre vers la demande.
- Transition technologique : la santé est au cœur des innovations technologiques, elle constitue donc un enjeu géopolitique indéniable. La santé constitue un élément du soft power. En d’autres termes, ce secteur est un secteur ultra-stratégique. Désinvestir dans la recherche sanitaire a des conséquences importantes sur le positionnement des Etats dans le monde.
- 2 La place de l’Europe dans l’élaboration d’un nouveau modèle de santé
Il faut de nouveaux modèles de santé pour faire face à cette triple transition. C’est en ce sens que l’Europe peut jouer un rôle.
Ces nouveaux modèles de santé vont avoir comme pilier la santé publique. Cette dernière est essentiellement portée par des services médicaux. Le soin restera dans le champ de compétences du national.
Il y a un besoin d’Europe pour construire un maillon commun de santé publique, pour créer un système de data, pour créer des indicateurs, pour créer un système d’échange de bonnes pratiques. On peut très bien avoir une Europe qui vienne en appui des politiques nationales. L’évolution des modèles est une opportunité de développer une Europe de la santé. Néanmoins, on voit que c’est compliqué de réfléchir et de proposer des choses nouvelles dans cette Europe. Quand on parle d’Hera, on n’y a pas pour autant de vision à long terme. Tous ces risques systémiques justifient d’être traités à l’échelle non pas nationale, mais européenne, sinon internationale. Il y a donc bien une place pour l’Europe, dans la gouvernance de la santé à l’échelle mondiale. A l’échelle européenne, il y a une nécessité d’avoir une souveraineté de la santé. Au niveau de la recherche et de l’industrie, il y a un besoin de coordination européenne. Tout d’abord, c’est un des secteurs dans lesquels on peut être leader mondial (80% des vaccins sont produits et inventés à l’Europe). Mais on perd du terrain sur les biothérapies, mieux maîtrisées aux USA et bientôt en Asie. Donc c’est un élément stratégique. A part le bricolage, à ce jour, l’Europe n’a quasiment rien. Sur les chaînes de production : le sujet c’est la maîtrise des technologies (exemple de l’ANR messager). On a l’expertise mais on ne la traduit pas en innovation. Il faut que les pays européens s’appuient sur une vision forte de l’ Europe de la santé, qui peut être créé dès maintenant.
Conclusion
Sujet stratégie, la santé peut redonner de l’élan à la construction européenne. Néanmoins, le manque de projets structurants à l’échelle européenne illustre la difficulté de l’Europe à se saisir de cette question.
Session de Questions-Réponses
• Est-ce qu’il y a en Europe des entreprises capables de devenir leader sur le secteur ?
Frédéric Bizard : Oui, du côté industriel, mais c’est plus compliqué du côté des services. On voit que la numérisation des systèmes de santé pose la question des différences de systèmes de santé. Un système de santé étant lié à la culture, il est difficile de les homogénéiser, et d’imposer un modèle unique.
• La stratégie de santé en Europe constitue une préoccupation européenne. Si on analyse les investissements, on observe que ces derniers sont orientés vers la médecine préventive. Il manque une diplomatie européenne pour la santé, capable de lutter contre les crises sanitaires mais aussi un traitement des données au niveau européen. Il faut que l’Europe regarde la santé d’une autre façon.
Frédéric Bizard : Je suis frappé par la faiblesse de la solidarité, coopération et coordination entre les pays européens. Au départ, cela pouvait se comprendre, mais un an et demi après, cela pose des questions. Il y a une réalité politique qui fait que les politiques ne pensent pas faire une coordination des politiques de santé. Il faut une expertise en santé publique, reconnue. Il ne faut pas entrer dans les différences culturelles, qui sont indépassables, mais il faut se concentrer sur les investissements. Cette crise va laisser des traces fortes : creuser les inégalités sociales, creuser les différences entre les pays. Et là il y a un niveau européen de réflexion et d’investissement qui devra intervenir mais il faut le préparer dès maintenant.
Remarques complémentaire de Jacques-Yves Campion : En France on a une approche très particulière de la santé publique, qui très détestée de la part des étudiants. Une des problématiques que l’on rencontre en France se situe au niveau de la formation : alors qu’en Allemagne ce sont les plus diplômés qui choisissent de se spécialiser en santé publique, en France, cette spécialisation est laissée aux moins scientifiques. Cela explique pourquoi il y a eu peu d’expertise, peu de monde, et beaucoup de cacophonie au moment d’interpréter les graphiques et les courbes lors de la crise sanitaire. Toujours sur concernant la santé publique, la France fait face à une autre une problématique : on a du mal à mettre en oeuvre un système de santé publique efficient (exemple des mammographies conseillées, mais pas obligatoires).
Sur l’aspect data, l’Europe ne dispose pas de structures communes. Quand il y en a, le travail de data cleaning est très compliqué. En France, on innove moins et on voit la différence avec les USA. Ceci s’explique notamment par le fait que dans la recherche, le privé et le public ne coopèrent pas facilement. Une des solutions seraient de créer des pôles où les industries et les chercheurs marcheraient main dans la main. En outre, la qualité de la formation est bien moindre qu’avant. Or, il va y avoir une inertie : il faut ramener les professeurs qui ont la compétence, il faut aussi recréer un vivier d’étudiants compétents. Les étudiants étrangers ne sont plus dans les mêmes dispositions et ne sont plus aussi compétents. Quel regard portez-vous sur la santé publique française ? Que pensez-vous de la création des registres communs européens, dans lesquels seraient centralisés les sujets de thèses et de recherche ?
F.B : L’Europe de la santé, ne sortira pas la France de son retard. La France doit faire elle-même un travail. Il faut des projets audacieux ; un Harvard européen de recherche, de formation et d’enseignement en santé public, ou encore un Erasmus des doctorants, serait également un moyen de construire quelque chose. Il faut un changement de modèle en France, mais aussi quelques projets audacieux à l’échelle européenne. C’est là que l’on peut être pessimiste : il n’y a pas de projets structurants, dans les années à venir.
• La réflexion autour d’une charte européenne est-elle envisageable et réaliste?
F.B : C’est illusoire de penser que la charte va porter un changement de modèle de santé. Si il y a une charte européenne, elle ne doit pas être sur la structuration des systèmes de santé, mais sur des questions d’éthique. Il y a une volonté d’avoir des grandes idées européennes. En ce sens, une charte de principe est intéressante. Mais, cette charte ne servira certainement pas à faire émerger un système européen. Il y a trop de disparités, qui sont factuelles.
Le mot de la fin : La vraie souveraineté c’est la maîtrise des technologies, et que l’on soit capable de la maîtriser.